La fonction sociale du chant
L’être humain aime chanter. C’est indéniable, pousser la chansonnette n’a de secret pour personne. Mais savez-vous qu’avant de devenir un plaisir personnel, le chant a d’abord eu une fonction sociale ? Continuer à lire
Le chant, une pratique ancestrale
Le chant est notre premier instrument. Il ne nécessite aucun artifice ni aucun objet. C’est pourquoi il est pratiqué dans toutes les cultures et ce depuis la nuit des temps. Plus que n’importe quelle autre pratique musicale, le chant nous renvoie à notre substance primitive tant son mode opératoire vient puiser dans les tréfonds de notre corps voire de notre âme. Mobilisant la voix, le chant se rapproche du langage parlé ou du cri, voire parfois des pleurs. Grâce à son pouvoir libérateur, il permettait d’exprimer une contrariété ou de célébrer une joie. Il est le vecteur par excellence de l’émotion et a une fonction sociale très importante.
Le chant est probablement la première manifestation musicale de l’être humain. L’anthropologue Ian Morley suppose que depuis la préhistoire, le chant fut employé pour rythmer la vie communautaire à travers les cérémonies ou pour communier avec les forces surnaturelles. Ce n’est que bien plus tard dans la Grèce antique, que le chant est devenu une forme artistique à part entière. Celle qui inclue différentes règles de forme et d’esthétique. Cette approche est d’ailleurs celle que nous connaissons le plus aujourd’hui. Par son essence accessible, il défie les âges, les cultures et les classes sociales lui donnant une valeur universelle.
Chanter pour rythmer la vie
Dans l’histoire de l’humanité, il existe de nombreuses cultures et endroits où la musique, et plus particulièrement le chant, ont une place primordiale au sein d’une communauté. En effet, de nombreuses sociétés l’utilisent pour ses dimensions sociales de cohésion et de rituel. Parfois, il sert à raconter et transmettre l’histoire identitaire d’un groupe en perpétuant les mythes et légendes qui lui est propre. En Géorgie, le chant polyphonique est considéré comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Et pour cause, cette tradition vocale occupe une place sociale prépondérante rythmant tous les instants de la vie quotidienne. Chaque occasion est bonne pour chanter : mariage, baptêmes, vendanges, retrouvailles, repas etc. Il fut un temps ou ces pratiques étaient connues de tous et n’étaient pas réservées aux professionnels.
Dans les musiques traditionnelles, le chant est fonctionnel, il permet l’expression des désirs, joies et peines tout en accompagnant l’élévation d’une communauté par sa nécessaire solidarité sociale. Évidemment, chanter à plusieurs se vit également comme un divertissement, mais même dans ce cas, on fabrique une temporalité commune et c’est ce phénomène qui créer le lien entre les gens.
Chantons-nous encore pour communier ?
Le chant a toujours son pouvoir cérémonial car il confère à l’instant un moment de communion, c’est pourquoi la pratique sociale fédératrice du chant se trouve encore dans des endroits de culte. Ce sont des espaces ou les fidèles connaissent les psalmodies par cœur. On peut constater que nous avons perdu notre capacité collective à chanter de manière spontanée, probablement depuis l’avènement de la religion ayant chassé la tradition musicale profane. On chante chez soi à l’abri des regards ou dans des cadres très précis lors de cours de chant, au karaoké ou à l’église. Pourtant, le désir de chanter ensemble n’a pas vraiment disparu de notre culture occidentale. Il suffit de regarder les instants suspendus des concerts durant lesquels le public scande les paroles.
C’est le cas également lors de rassemblements publics comme des manifestations. Dans ces instants, les gens chantent pour se sentir unis. On voit d’ailleurs comment des chansons peuvent se transformer en chant de contestation. Cela a pour effet de créer un lien fort entre les manifestants. On a pu le voir notamment à travers le morceau Baraye du musicien Shervin Hajipour, devenu malgré lui l’hymne révolutionnaire en Iran cette année.
Certes, il n’existe plus vraiment de chants traditionnels à proprement parlé. Les morceaux de musique pop sont devenus aujourd’hui nos rites fédérateurs. Ainsi, c’est lorsque nous chantons ensemble la bande originale d’un film de Disney que nous perpétuons ces espaces de communion. C’est aussi le cas lorsque que nous reprenons en chœur un tube des années 70.